* « L’action l’emporte sur la compassion »
Ma pratique artistique a toujours été motivée par un profond besoin d’exprimer un flux poétique protéiforme qui m’habite et qu’il m’a fallu canaliser au travers d’une démarche en mouvement. Aussi loin que je me souvienne, j’ai été guidé par cette rivière jamais tarie d’images, de mots, de mouvements et de couleurs, beaucoup de cette couleur qui couvre mon travail.
Ma démarche est intimement liée à ce que j’abrite tout au fond, un espace intérieur qu’il m’a fallu explorer au fil du temps, au travers de l’analyse, l’expérimentation, la pure expression, les excès, la raison, la planification… il en résulte un travail d’exploration et de cartographie intime, tout à la fois.
Ma démarche vise à organiser la visite de mes mondes, à les montrer, inviter au voyage d’une nature rêvée et vraie, de corps pleins de sens, de couleurs éclatantes, de poésie chaleureuse et riche de pensées.
Depuis quelques temps j’utilise la peinture réelle ou numérique pour exposer ce flux d’images et de mots très peu formels. J’utilise donc un langage accessible, qui s’approche de la figuration, afin de donner à voir mes émotions à un public qui apprécie les paysages qu’ils voient, même chargés de parts d’abstraction et de mystères que j’ajoute, mais qui ressemblent à des mondes connus, rassurants de ce monde qu’ils connaissent, les paysages familiers…
Comme un jeu ou comme une foi, à l’inverse de la démarche des peintres du réel, j’affirme le faux pour montrer le vrai : je montre des paysages inventés pour prêcher des émotions réelles, j’utilise des costumes connus pour incarner des métaphores et du sens. Ces costumes naissent de mélanges de photos posées avec des modèles, travaillées à palette graphique… des décors via des IA que je nourris de mon style de peintre… des paysages en peinture et de pastels numériques… le tout est imprimé et retravaillé en peinture réelles, des huiles, des acryliques, chargées de dessins, de collages et de bricolages infinis.
Jusque récemment mon travail avait une vocation purement émotionnelle, il abritait poésie et couleurs. A force de pratiquer un jeu de construction formelle et de raffiner un style devenu brouillage, je ressens désormais qu’il m’est possible de compléter ma pratique en y ajoutant du sens, et intégrer à la forme un message qui m’habite et m’anime. Personnifier l’humanité et la nature, les natures des êtres et choses dans leur interaction intime. Je veux donner à une nature sans voix belle ou délabrée, vivante ou morte, l’opportunité d’exprimer sa détresse aux humains… de prescrire aux humains des commandements et des rôles, afin de réintégrer notre expèce dans le monde !
Depuis l’âge de l’écriture, l’art religieux a pu jouer ce rôle de régulateur des rapports au monde. Il a théorisé l’origine, métaphorisant comment habiter le monde, malgré la douleur à être. L’art religieux a relayé les rôles, les responsabilités de chacun à une époque où l’impact de notre espèce restait marginal au sein du monde et de ses autres habitants, vivants ou choses. L’espèce humaine consciente de sa vulnérabilité, se remettait aux dieux et suivait les recommandations de cultiver son jardin sans se soucier d’autre chose que sa perpétuité.
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Depuis peu, quelques siècles à peine, notre espèce envahie de son propre progrès, débordante d’immortalité et de domination, a oublié son ancienne existence, son ancienne place, sa résilience et sa fragilité qui n’impactait le monde qu’à l’égale des autres vivants.
Aujourd’hui aucun argument ne semble infléchir l’envahissement du monde de nos cauchemars consuméristes, canibalisant la nature, étalant nos déchets infinis, notre incommensurable orgueil violent producteur de chimères.
Je me sens dépositaire culturel du langage de cet art ancien, et ce lieu que vous me prêtez joue inévitablement un rôle de révélateur. Cet art et ses codes peuvent potentiellement jouer un rôle encore, conduire une énergie, une chaleur douce qui irriguerait les cortex plutôt que les striatums humains. Je veux essayer par son truchement, de formuler le rappel de ce qui porte l’harmonie dans le monde.
Je propose, au travers du prétexte de l’ exposition «gesta praecedunt pietatem» («l’action l’emporte sur la compassion», dans le cadre de Arts et chapelles en Anjou), un travail sur l’anthropocène, accompagné d’une parole morale citant des actions permettant de retrouver un équilibre naturel entre notre espèce, les vivants et toutes les choses. Un travail qui s’inspire de métaphores religieuses et empruntant leur langage, sans que jamais il ne faille confondre ce travail avec un accte religieux. La figure de la piétà incarne habituellement douleur et échec de la vie humaine, la mère comme uniquefonction d’accompagnatrice compatissante de la vie de sa projéniture, et pourtant première incarnation d’un espoir. Je ne la vois plus comme cela.
Je souhaite présenter des pietàs nues, car c’est leur rôle désormais est de réincarner la fragilité du corps, comme jadis leur fils décroché de la croix. Des pietàs désormais porteuses de messages à destination des humains, comme jadis leur fils portait le message, car seules les femmes peuvent prendre le rôle de l’action de réparation du monde après l’échec des hommes. Des femmes dont le corps nu n’est plus fragile, il est leur étendart, leur blason et leur force pour réparer le monde.
Au travers de cette force agissante des pietàs modernes, la nature nous rappelle ses besoins, ses demandes, sa voix : 4 commandements que la nature-dieu, avec compassion, implore de réaliser par les humains :
- Chaque jour tu porteras lumière et chaleur pour chacun
- Tes eaux lieront le monde, les êtres et les choses
- A chaque instant ton souffle portera le message de la vie
- De tout ton corps tu feras pousser le monde
Au travers de ces pietàs, je souhaite également faire écho à la force et la résilience de lieux chargés de douleurs, incendies, guerres, tant de drames vécus. Mais surtout je souhaite la montrer elle, madonne humaine, femme universelle débarrassée de son corps unique de mère, de son corps érotisé et scopique, prendre la parole comme jadis les sibylles, porter un corps catalyseur des rapports à la nature et aider les autres humains à la réintégrer en conscience. La pietà comme figure de la maïeutique d’un monde épanoui à reconstruire.
En conclusion «Gesta praecedunt pietatem» proposera un voyage intérieur dans un paysage onirique qui ressemble à la nature que l’on connait, dans laquelle nous nous diluons, nous et notre fragilité. Ce sera un voyage dans l’empreinte de notre culture qui ne se résumera bientôt plus qu’à la trace de nos ordures, de nos constructions complexes souvent destructives, en contradiction avec la fluidité du vivant. Ce sera aussi une ode à la beauté, à l’incarnation, à la splendeur de la nature, au fleurissement du monde, à la force vitale de redevenir des participants au monde. Je souhaite proposer un guide qui sera comme le rebord de notre enveloppe fragile, une peau fine qui chante l’équilibre et la liberté des paysages et des eaux en contrepoint de notre légende qui n’existe qu’au travers d’un drame que nous sommes les seuls à porter.